Together plonge le spectateur dans l’intimité d’une famille en période de confinement. La COVID-19, qui a précipité le monde dans une paralysie totale durant plusieurs années, a bousculé nos repères sensitifs en introduisant une nouvelle règle qui semblait nous échapper depuis longtemps : la vie en vase clos, le repli individuel dans le micro-espace du domicile familial.
En partant de ce constat, comment envisager la conjugalité ? Comment exprimer son individualité quand nous nous retrouvons obligés de vivre constamment avec l’autre, de partager le même espace ? Elle et Lui ne sont pas différents de nous : ils se sont aimés, ils ont eu un enfant ensemble, mais l’enferment a mis en exergue leurs différences fondamentales, ces petits éléments qui nous situent dans le monde vis-à-vis de nos pairs et qui, dans un même temps, nous différencient. Ils se déchirent, parce qu’ils prennent conscience que l’unique liant — la fondation — de leur amour repose sur leur fils : Alfred.
Ce repli, traversé par les deuils, conduit au paradoxe d’un amour qui ne peut exister en dehors de sa considération physique et charnelle, mais qui ne doit pas outrepasser la frontière de la liberté individuelle, la place que chaque personne occupe dans le couple, dans le cercle familial… Le risque, mis en avant dans cette pièce et confirmé par notre propre expérience du confinement, concerne l’exploration de nos failles et le soulèvement de nos inhibitions, de nos barrières morales. Elle et Lui sont humains, monstrueusement humains, et l’enfermement les pousse à interroger la violence qu’ils ont refoulée, la haine qui sommeille en eux, mais qui n’avait pas, jusqu’alors, trouvé de terrain favorable afin de s’épanouir pleinement. Cette violence est également incarnée par le fils, Alfred, qui développe une curieuse (et naturelle) fascination pour la mort et pour la cruauté. Ce personnage, qui est – peut-être – le plus important de la pièce, grandit dans un environnement en huis clos entouré par la rage et les corps morts qu’il ne voit pas, qu’il n’arrive pas à saisir. Le fictif et le réel se confondent, interrogeant, de facto, les limites du développement en contexte de pandémie.
Together est également une pièce politique qui place au centre du jeu les individus jugés essentiels durant la période : les aides-soignantes, les caissières…
Ces personnes qui ont pris tous les risques et à qui nous avions promis des revalorisations salariales, une meilleure considération dans le « monde d’après ». Le monde promis n’a pas eu lieu et nous pouvons légitiment nous demander ce qu’il nous reste de ces moments sombres ; Together est une réponse à considérer.
Together de Dennis Kelly est une tragi-comédie où l’humour tient une place centrale et permet « d’atténuer » la gravité du sujet. Elle est au cœur du propos dans le sens où, par un usage récurent de l’effet d’adresse, les interprètes embarquent le public dans le processus de création. De ce fait, les spectateurs deviennent eux-mêmes acteurs et participent activement au spectacle. Elle et Lui s’adressent au public, attendent son approbation ou son soutien sans pour autant prendre en compte cet avis. Ils cherchent à expliquer, à faire entendre à un autre qui ne peut être que le public. Cette savante triangulation donne à l’œuvre de Dennis Kelly un effet « stand-up » qui sans aucun doute, stimulera le public qui a lui-même vécu l’expérience drôle et terrifiante du confinement.