création 2009
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Leaves est la première pièce de l’irlandaise du Nord Lucy Caldwell.
Écrite à 23 ans, elle y creuse les fêlures secrètes de l’adolescence.
La pièce s’ouvre sur une scène de dîner à Belfast en 2006 : David le père, Phyllis la mère et leurs deux filles : Poppy, 11 ans, et Clover, 15 ans.
Leur fille aînée, Lori, 19 ans, doit arriver le lendemain. Elle revient de Londres où elle est partie faire ses études trois mois plus tôt. Fierté de sa famille, elle réalise ce que sa mère n’a pu faire : étudier et s’émanciper.
Pourtant, quelque chose de lourd préside à ce retour.
Mélanie Leray : Peut-être que j’y reviens sans cesse, parce que cela nous constitue et que nous ne faisons que reconstituer des familles toute notre vie, s’en plaindre et en avoir besoin. La famille est aussi un endroit d’inégalités et de violences, et trop souvent présentée comme un endroit où l’on serait protégé. C’est un microcosme de la société et de ses complexités, un lieu d’étude de l’être humain passionnant. Mais Leaves traite avant tout de Lori, cette jeune femme brillante, qui a voulu mourir.
Le suicide est aujourd’hui l’une des premières causes de mortalité des adolescents. Cela fait encore partie des grands tabous de notre société, avec l’inceste.
Avec un texte comme celui-ci, l’acte poétique de mettre en scène rencontre l’acte politique et citoyen.
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Cette histoire m’apparaît aussi comme une grande métaphore sur grandir et sur la perte de l’innocence.
(…)
Le malaise – l’originalité et la complexité de la pièce – se renforce dans le troisième acte. Lucy Caldwell finit son récit par un flash-back. Elle renvoie le lecteur « trois mois plus tôt » et propose un cliché du bonheur familial qui m’apparaît plus grinçant que joyeux et rassurant…
Ce que je viens de voir mʼa enchantée sans retenue. Je viens dʼassister à une pièce sur le suicide chez les jeunes, et jʼai ri, réfléchi et sans doute vécu une expérience cathartique. Jʼai été touchée par cette vision dʼune situation extrêmement complexe, évoquée ici avec un humour grinçant et une beauté pudique.
Aurore Krol, Les Trois Coups, www.lestroiscoups.com
LORI : Je me dis toujours, tu sais — Quand on voit des images de —
De — De — je ne sais pas — d’Irak, ou Kaboul, ou n’importe —
Des pays où on se bat vraiment — Les hélicoptères dans le ciel — ce genre de chose —
Et tu te souviens des fois quand on était petites et qu’on n’arrivait pas à dormir à cause des hélicoptères ? Et je pense aux —
Je me demande s’il y a — et je veux dire il y a forcément — d’autres petits enfants qui n’arrivent pas à dormir, et je me demande si leurs mères leur disent de — d’ignorer le bruit, ou de faire comme si ça n’existait pas, comme tu faisais autrefois, pour qu’ils puissent s’endormir. Et quand j’y pense, le truc c’est que moi non plus, je n’arrive pas à dormir. Tu sais ?
PHYLLIS (prudemment) : Je pense — je pense que peut-être tu devrais essayer de ne pas penser à — à — Je pense que tu devrais simplement essayer de te concentrer sur ta guérison —
LORI : Mais Maman —
Comment peux-tu ne pas y penser ?
Et je ne veux pas dire — toi — je veux dire — tout le monde —
Une fois que t’y as pensé — une fois que tu as compris —
Comment peut-on — ne pas y penser ?
PHYLLIS : Je ne sais pas quoi dire, Lori.
Silence.
LORI : Maman ?
PHYLLIS : Oui, mon cœur —
LORI : Maman, tu crois que les choses s’arrangeront ?
PHYLLIS (rapidement) : Bien sûr qu’elles le feront, mon cœur, bien sûr que les choses s’arrangeront, tu iras parfaitement bien et —
LORI : Je ne parle pas de ça, je ne parle pas de moi. Je parle — des choses. Tu penses que les choses — la vie — les gens — peuvent aller mieux un jour ?
Temps.
PHYLLIS : Bien sûr que oui.
LORI : Parce que moi je pense que non (…)